Par Laurent CHATEAU
Il était un temps où la souffrance n'existait pas, un lieu où la plainte ne trouvait pas de son pour la porter, un espace où la crainte et la rancœur ne pouvaient se diffuser à défaut d'avoir pu être conçues. Ce monde sans larmes s'appelle celui de l'innocence. C'est le royaume de Gautama d'avant la découverte de la maladie, de la vieillesse et de la mort, c'est l'Eden d'avant le serpent, la pomme avant le trognon.
L'espace de la non-souffrance existe en chacun de nous
Cet espace-temps suspendu existe en chacun de nous, une part de nous-même réside dans ce lieu torique où rien n'est séparé, une Shambhala vierge sans futur ni passé, une Jérusalem céleste sans bien ni mal, sans l'autre ni soi-même. Fermez les yeux et retrouvons-nous dans ce "non lieu" (utopia) que notre mémoire sait exister.
Pour vous y aider, imaginez être vous-même SANS votre histoire. Qui seriez-vous ? Enfant sans parents et "inconçu", comment réagiriez-vous ? A quoi ressembleriez-vous ? Imaginez cet enfant qui ouvre les yeux sur un monde vierge de tout à-priori, désempli de tout milieu social, vide de toute culture humaine. Imaginez ce petit vous-même qui n'aurait d'autre choix que d'appliquer les règles de la nature qui l'entoure et de se laisser enseigner par le soleil, la cascade ou les insectes. Imaginez cet être pur et rayonnant découvrir la beauté, la simplicité, la joie, la frugalité, la spontanéité, l'impermanence, l'interdépendance, la liberté ou l'harmonie. Imaginez cet "avant-vous" et retrouvez l'innocence. Ressentez sa vibration.
Avez-vous trouvé en vous ce petit être lisse, capable de s'émerveiller devant un papillon ou d'aller sans crainte au devant d'un inconnu ? Avez-vous ressenti en vous celui (ou celle) qui n'a pas encore été touché par le peuple des Hommes, les habitudes, la conformité ou le vice ? Occupez-vous l'enveloppe de celui ou de celle qui n'a pas d'appréhension et n'anticipe pas, qui considère l'autre comme un territoire à découvrir et non comme un risque, un partenaire de jeu ou d'apprentissage et non comme un adversaire de vie ? Pouvez-vous remonter à celui qui était porté par l'élan de l'autre et qui se sait éternel ?
Ce retour à l'enfant originel fait partie du cheminement alchimique qui a fait écrire à Picasso qu'il a cherché toute sa vie à peindre comme un enfant de 6 ans. Certaines méditations taoïstes appellent ce bambin l'"enfant pourpre", le pourpre-améthyste s'assimilant ici au chakra coronal du Ciel et de la Grande Unité (Taïyi).
Dans ce travail du retour à l'Origine, l'alchimiste taoïste rencontre un jour l'enfant pourpre sur son chemin et devise avec lui. Celui-ci lui raconte alors qu'il lui faut se débarrasser de ses 3 poisons, s'enrichir de 3 absolus et découvrir les 3 étapes initiatiques qui fondent le sens de la vie.
Le pèlerin du Dao s'assied alors et écoute attentivement le Maître de moins d'un mètre. Les mots qui suivent racontent cette histoire.
Évacuer les 3 poisons
En regardant le pèlerin dans les yeux, l'enfant prend alors la parole. Il déclare que selon la tradition bouddhiste, 3 poisons doivent être évacués par celui qui souhaite lui ressembler : l'attachement, l'aversion et l'ignorance. Par effet télépathique peut-être, le marcheur de la vie comprend que le poison de l'attachement renvoie au plan de la Terre et à tout ce qui peut entraver sa liberté et sa capacité à devenir global. On y retrouve naturellement l'avidité et l'envie compulsive de posséder, l'attachement aux choses et à la matière mais également à ses croyances et à certaines personnes. C'est le poison du corps (parfois du Cœur) et la recherche de la sécurité qui s'associe aux organes des Poumons et des Reins.
L'enfant explique ensuite que, plus loin dans la boutique de l'apothicaire de la vie, notre voyageur peut trouver le poison de l'aversion qui réunit indifféremment la colère et la haine, le jugement, la comparaison ou la jalousie, envers l'autre ou envers la vie elle-même, considérée comme injuste. Ce poison peut à l'occasion se tourner contre soi-même ou bien contre le temps, dans un combat que l'on sait perdu d'avance. Ce poison est celui du Cœur et du plan de l'Homme. Il trouve son organe partenaire dans le Foie.
Plus loin encore dans l'arrière-boutique du maître de la pharmacopée, réside enfin le poison de l'ignorance, celui que l'on croit ne pas exister car on ignore en être victime. Il s'agit de l'ignorance du Sens de la vie et des lois du vivant mais également de l'ignorance de soi, des raisons de notre incarnation qui se traduisent par un égarement existentiel et un égocentrisme de protection. A défaut de savoir où je vais et à vivre séparé, autant voyager en première classe et pour moi seul. Ce poison-là renvoie au plan de l'Esprit et du Ciel et il n'est pas le plus simple à révéler, à déposer devant la porte de sa conscience. Il résonne avec l'organe du Cœur et des Reins.
Les antidotes des 3 absolus
Fort heureusement, notre enfant-pharmacien connait sa matière et les antidotes qui permettent d'évacuer efficacement les toxines de celui (ou de celle) qui souhaite se rapprocher de l'enfance de lui-même. Plongeant sa petite main dans les albarelles colorées, il fait découvrir au pèlerin curieux et ouvert, l'existence des respirations conscientes et des mouvements lents du Qi Gong qui permettent d'éliminer les 3 poisons. Ils portent des noms étranges comme la respiration du "gouffre" ou de la "grande complétude". D'autres majoliques plus profondes, proposent des méditations aux patients les plus motivés. Entre deux flacons non étiquetés, notre randonneur de la vie découvre un peu surpris que la santé du corps peut aider à prévenir ou évacuer les poisons de l'esprit, il se souvient de l'importance de la lumière du soleil, de l'alimentation et du ressourcement dans la nature.
Après avoir insisté sur l'importance première d'évacuer les poisons, l'enfant-soin nous parle ensuite des bienfaits des 3 absolus, qu'il appelle de temps à autres les 3 vertus mais que l'on pourrait aussi appeler les 3 onguents. Ces vertus sont celles du sentiment d'être en sécurité, d'être aimé et d'être complet. L'enfant-maitre explique à l'adulte-élève que la souffrance et le désalignement énergétique ou comportemental proviennent de l'un de ces 3 manques. La sécurité renvoie au corps et au plan de la Terre. Le sentiment de ne pas être aimé (ou aimable), au plan de l'Homme (au sens d'Homo) et à la séparation. Le sentiment d'être incomplet enfin, renvoie au monde de l'esprit et de la croyance, du doute et du manque. L'enfant pourpre nous explique qu'il ne souffre pas car il se sait en sécurité, aimé universellement et sans condition mais également complet car vivant en parfaite harmonie avec les lois du vivant, sans attente ni besoin, dans la seule jouissance de ce qui vient, de ce qu'il est et de ce qu'il ressent. L'enf'enseignant transmet alors de nombreuses méditations aux humains qui l'entourent pour leur permettre de recouvrer cette sensation d'absolue sécurité, d'amour inconditionnel et de complétude, au plus profond d'eux-mêmes. Ces techniques portent des noms amusants comme la "méditation de l’œuf d'or", "la méditation bleue", "allumer l'étoile du matin", "la fontaine de Feu" ou bien "la nage de l'univers".
Le pèlerin intrigué demande souvent à l'enfant de les lui enseigner mais il répond immanquablement qu'il n'a pas vocation à rester très longtemps sur ce plan terrestre et que trouver son enseignant fait partie de la mission. Il déclare qu'il ne serait pas rigolo de chercher un trésor si on savait à l'avance ce que c'est et où il se trouve. Puis il laisse éclater son rire de cristal en partant rouler dans l'herbe.
Les 3 finalités de la vie
Une fois calmé et recouvert de feuilles, en cercle avec ceux qui l'entourent autour d'un feu de bois, il évoque les 3 finalités de la vie. Il explique de sa voix juvénile que l'élimination des toxines et des poisons de la vie ou le déploiement des 3 vertus de l'existence n'auraient pas grand intérêt sans la compréhension supérieure du sens de notre incarnation.
Il amène alors le pélerin impatient sur les terres des 3 finalités qu'il aime résumer par 3 verbes d'action : Connaître, aimer et créer. Laissant s'installer le silence, il laisse généralement les grands qui l'enceintent, réfléchir et méditer ces 3 verbes et l'intention invisible qui les porte.
Après quelques instants et une fois l'énergie installée, chacun finit par comprendre sans parler, que le verbe "Connaître" renvoie à la connaissance des lois de la vie et de notre plan de réalité, des 18 Principes du vivant [qui ont été présentés à plusieurs reprises, NDLR]. Cette étape est celle du corps et de la compréhension des moyens de rester en bonne santé, physique et psycho-émotionnelle, d'installer une bonne hygiène dans sa vie et dans ses nourritures (alimentation, films et vidéos, lectures, relations amicales, partenaire sexuel, habitation et lieu de vie, emploi, rythmes...). C'est l'étape du grand alignement du plan de la Terre.
Plus loin, le verbe "Aimer" renvoie également à la connaissance mais à la connaissance de soi, à l'installation de sa "clarté intérieure" : quels sont mes dons, mes points de faiblesse, quelle est ma nature céleste, ce pour quoi je suis fait ? Qu'est-ce qui m'apporte de la joie, me remplit et me ressource ou au contraire me vide ? Comme une petite voix qui émerge de l'intérieur, l'enfant continue à parler et précise que cette étape est également celle de l'apprentissage du calme qui permet de voir "plus loin en soi", à l'image d'une mer plate qui permet de découvrir sa ligne d'horizon. Cette étape importante est celle de la réalisation de soi. C'est l'étape de la pacification de ses émotions pour éviter d'agiter un océan qui rend le marin prisonnier de ses propres pulsions, de ses croyances et conditionnements mentaux. A défaut de les maîtriser, en devenir conscient. L'enfant déclare que tout part de la prise de conscience généralement révélée lors de cette étape. Elle précède l'élargissement puis l'élevation de la conscience qui sera la grande affaire de la dernière étape évolutive. Cette étape est la grande histoire du Plan de l'Homme, de l'ouverture du Coeur et de l'amour dont parlent tous les textes sacrés. Au-delà de la connaissance de soi et de l'installation du calme de sa mer intérieure qu'il appelle "vider le Coeur" ou "apaiser le Feu du Coeur", la voix de l'innocence nous apprend que cette étape contient le délicat apprentissage de l'amour de soi, de l'autre et de la vie, ainsi que de la focalisation mentale.
L'enfant fait une pause et laisse tomber sa voix comme une feuille pour laisser à l'auditoire des grands, le temps d'intégrer les informations qu'il a pu appeler les "3 Trésors". Il ferme les paupières et se remet à parler les yeux clos. Quasiment immobile à l'image d'un petit bouddha, il donne l'impression de briller. Nimbé dans ce qui nous semble un halo de lumière, il déclare que la finalité de l'Esprit se nourrit de la finalité du corps et du Coeur. Cette troisième étape est celle de la "Création Consciente", dans la compréhension supérieure des lois de notre plan créatif et de l'amour que l'on a su installer sans force au plus profond de soi-même. Cette étape cherche à fusionner avec le Grand Tout ou à "broyer le vide" et pour ceux qui le souhaitent, à agir sur sa destinée ou sur la manifestation de notre plan de réalité. Avec une gravité dans la voix qui surprend dans un corps si petit, il déclare qu'il n'est pas conseillé ni raisonnable de vouloir changer sa destinée avant de travailler les 2 premiers socles, sous peine de donner vie à ses "démons intérieurs". Sa réponse n'est pas tout à fait claire pour nous mais on le sent réticent à vouloir aller plus loin.
De plus en plus sybillin et perdu dans sa contemplation, il nous déclare que les 3 plans de la Création se subdivisent eux-mêmes en 3 sous plans. Lui demandant d'être plus précis, il évoque que le plan de la Terre contient lui-même un plan de la Terre, de l'Homme et du Ciel et qu'il en est ainsi de chaque plan d'évolution. Il attire notre attention sur la fractalité du monde. Le 3 donne 9 qui donne 27 qui donne 81. Il nous déclare que 81 est la limite du connaissable terrestre, à la croisée de l'horizontal et du vertical. Au bout d'un long silence, il nous annonce que les 3 absolus ou que les 3 finalités ne font qu'Un, projection trompeuse et éclatée de la Suprême Unité.
La plupart d'entre nous sont perdus. Il décide d'ouvrir les yeux en semblant surpris de nous trouver en face de lui. Avec un large sourire, il se saisit d'un carnet et d'un crayon tombés là par un faux hasard et se décide à crayonner une vague silhouette avec quelques indications rapides.
L'enfant alors se tait et l'on sait tous intérieurement qu'il ne reparlera plus. Une gratitude sans limite gonfle dans les cœurs du cercle qui l'entourent, au regard du formidable cadeau qu'il vient de nous apporter : la carte du retour au pays de l'avant-souffrance.
Le devoir probablement accompli, l'enfant du sourire devient progressivement diaphane et finit par se dissoudre en nous lançant un dernier clin d’œil complice.
L'un d'entre nous comprend qu'il lui revient de rédiger un article pour réveiller et faire sourire tous les enfants du monde.
Pour aller plus loin :