Par Laurent CHATEAU
JO de Paris obligent, je reviens à l'instant d'un jogging en pleine nature. Lors des traditionnels étirements de fin de course et dans la brume de l'effort, mon regard tombe sur un graffiti vertical méticuleusement écrit, qui porte le slogan rageur suivant : "Abolir la police*". Le "A" central est cerclé et porte l'étendard du mouvement anarchiste.
Inspirées par le travail des ligaments, les idées se cherchent une forme dans la tête et souhaitent exister, nourrir les lignes qui vont suivent. Je m'efforce ici de leur donner vie par rapport à un sujet auquel je ne songeais pas quelques secondes plus tôt. Examinons ce qu'elles ont à nous dire et découvrons ensemble où elles souhaitent nous amener.
Idée 1 : "Abolir la police" n'est pas un objectif mais une conséquence
La première idée qui surgit est celle de la conséquence. "Abolir la police" n'est pas un objectif. Cette suppression est une conséquence, un effet, une incidence. La Police n'existe en effet que pour rétablir un ordre perdu ou perturbé. A moins de promouvoir le désordre et le chaos, aucun mouvement ne peut souhaiter la disparition d'un corps destiné à nous prémunir des fous et des violents, à tenter de faire vivre ensemble et dans l'harmonie toutes les communautés humaines, de culture, de croyance ou d'appartenance. Dit plus positivement, si l'ordre existait au sein du peuple des hommes (pas de violence, pas de bruit, pas de nuisance, pas de dégradation, pas d'atteinte à quiconque), la police ne serait pas nécessaire et n'existerait pas. La question juste qui se pose est donc plutôt la suivante : "que suffirait-il pour que la violence recule, que l'honnêteté, le calme, l'amour, la beauté et l'harmonie s'installent au sein de la cité ?"
Idée 2 : la police souhaite installer l'ordre depuis l'extérieur
La 2è idée qui vient germer dans le printemps de l 'esprit est celle de l'interne et de l'externe. L'ordre de la société doit-il être imposé de l'extérieur par un collectif (amusément appelé le Ministère de l'intérieur) dont ce serait la mission ou bien l'ordre est-il à installer préalablement au sein de chacun de ses membres ? L'ordre de la cité doit-il partir de l'extérieur vers l'intérieur de chaque individu ou bien s'exprimer depuis l'intime de chacun et se répandre à l'extérieur de la société ? L'ordre est-il une force centripète ou centrifuge ?
Sous peine d'apparaître comme une contrainte et un recul dramatique de nos libertés, le pèlerin du Dao dans son systématique retour à l'origine, privilégiera toujours l'ordre intérieur à l 'ordre extérieur, considérant que le premier induit le second de manière plus sûre et plus durable. Un être apaisé n'attaque pas. On dompte le fauve mais s'il n'y a plus de fauve, il n'y a plus de dompteur ni de fouet. La question du désordre extérieur ne s'explique que par l'existence d'un désordre intérieur. En d'autres termes, vouloir abolir la police supposerait de devoir préalablement abolir sa police intérieure, que la plupart d'entre nous soit dit en passant, se garde bien de faire exister. L'écrivain Jean Lartéguy écrivait joliment que l'"on ne peut installer la paix sur la base d'une guerre civile intérieure". L'installation de la paix en soi est le préalable à toute société durablement apaisée. L'existence de la police n'est que le reflet de nos déséquilibres intérieurs (pulsions, avidités, ignorances, intolérances et aversions, conscientes ou inconscientes). Si chacun des citoyens-électeurs devenait un jour président de la République, une très large majorité d'entre eux n'en profiterait-elle pas pour s'enrichir et affirmer son pouvoir et ses croyances ? Les politiques ne sont-ils pas des "autres-moi" pratiques à détester, de peur d'avoir à se "désaimer" ? Ces "prêt-à-haïr" ne sont-ils pas l'épouvantail commode qui évitent de s'introspecter et de se découvrir semblable à ceux que l'on met à l'index ?
Idée 3 : la police souhaite installer l'ordre par la force
Complémentairement à cette 2è idée apparaît la notion de l'emploi de la force pour instaurer l'ordre puisqu'il est souvent reproché à la police son excès de zèle, ses tirs horizontaux, ses abus de pouvoirs et son incapacité à distinguer le juste de l'arbitraire. Signe des temps qui est loin d'être un point de détail, la belle sémantique de "Gardien de la paix" a fait place en 2005 de manière officielle, au belliqueux et conflictogène "forces de l'ordre". Les gardiens (sous-entendu "protecteurs") d'antan se sont transformés en puissance potentiellement répressive et de contrainte (les "forces"). L'objectif poursuivi n'est désormais plus la recherche et l'installation de la paix mais celle de l'ordre. Cette "martialisation" du discours (l'énergie du Métal) contribue à provoquer une résistance qui éloigne paradoxalement l'intention de la réinstauration de la paix, pourtant au cœur de la mission du corps des policiers. La "'Paix" est un joli mot. C'est celui qui est le plus proche de l'"Harmonie" taoïste. La force est trop présente dans le vocabulaire policier et du ministère de l'Intérieur. Revenir aux mots anciens et à l'intention du monde d'avant est de première importance pour éviter le tonfa et renforcer notre "vivre ensemble".
Idée 4 : le désordre est une faute collective
De nombreux peuples racines et natifs considèrent qu'un acte provoquant de la dysharmonie (délinquance, crime, violence, parole blessante...) est d'abord une faute et un échec collectifs, parce que l'ensemble de la collectivité en est affecté et que l'un de ses membres a troublé l'harmonie. La tribu considère qu'elle n'a pas su (ou insuffisamment) former, encourager, accompagner ou donner envie à celui ou à celle qui commet la faute. Les sages se réunissent alors et tentent de trouver la solution la plus juste au regard de la restauration de l'harmonie, à l'image de la nature après l'orage. A cet égard et à notre échelle, la police n'aurait pas vocation à exister si chaque primo-acte de délinquance pouvait être expliqué et si la réponse de rééquilibrage était rapidement apportée : application rapide, systématique et effective de la sanction, explication pédagogique appuyée au prévenu privilégiant la réparation et l'appui à la victime avant une réponse purement pénale et répressive, accompagnement pour éviter la récidive, etc.
Idée 5 : la police est une invention d'autorégulation strictement humaine
Au-delà de ces quelques interrogations anthropo-sociologiques me vient la question-réflexe dès qu'il s'agit de traiter de problématiques humaines : que répondraient les 5 enseignants de vérité à cette question de l'existence de la police ? C'est ainsi qu'il est probable qu'un arbre me répondrait qu'en cas de déséquilibre (trop de chevreuils, un excès de chaleur...), il trouve en lui et avec son environnement les moyens de s'adapter (sécrétion d'un toxine, adaptation de ses feuilles ou de ses racines...). Le corps me répondrait pareillement qu'il développe en lui-même des anticorps et des globules blancs en cas d'attaque virale. En cas de violence de ses semblables et en supposant qu''il accepte d'en parler, l'enfant fuirait et partirait trouver une protection qui pourrait "faire la police". Le chien ou le chat fuirait également et chercherait un territoire plus pacifique. L'amour de son côté chercherait à comprendre l'origine de cette violence et proposerait des réponses proches de celles des peuples premiers.
Cette convocation des 5 enseignants de vérité atteste que la police est une création exclusivement humaine, un dispositif pensé comme un outil d'autorégulation de la part d'une espèce potentiellement violente qui n'a plus de prédateur. La nature (comme le corps) n'a pas besoin de police car elle dispose de leviers de régulation en elle-même (la météo et l'évolution de l'environnement, l'évolution génétique, la taille et le poids des espèces, etc.). Tant que l'humain ne saura pas naturellement se réguler, il aura besoin d'un agent externe pour le forcer à recouvrer l'équilibre. Cet "agent" s'appelle aujourd'hui l'"agent de police" ou l'"agent-darmerie" 😉.
Monsieur l'agent, c'est quoi la réponse ?
Ces quelques idées mettent en avant qu'avant de vouloir "abolir la police" et voir apparaître plus de chaos encore, plusieurs pistes mériteraient d'être creusées :
- Revenir à l'intitulé de "Gardiens de la paix" et souligner sa finalité de maintien de la concorde sociale
- Opter pour une justice de réparation et la mise sous surveillance (bracelet électronique...) avant d'opter pour la répression et l'incarcération dans des lieux où les détenus rencontrent généralement des détenus plus dangereux encore
- Répartir si possible les détenus par type de délit et par gravité pour éviter les jeux de contamination (la mauvaise pomme pourrissant souvent l'ensemble du panier)
- Rendre la justice plus efficace et rapide, les peines plus effectives
- Travailler dans les prisons à réinstaller l'harmonie intérieure et limiter la récidive par :
- Des ateliers de parole et d'aide à la prise de conscience de l'acte (type "alcooliques anonymes") comme cela se pratique au sein des peuples natifs
- Des consultations de reconstruction psychologique
- Des outils de psychologie positive (PNL, Communication non violente...)
- La lecture des textes sacrés ou de sagesse, de la philosophie, de la poésie
- La découverte de l'art (enseignement de l'histoire de l'art, ateliers de dessin ou de peinture, chant, musique...) afin d'"adoucir les mœurs" des délinquants
- Des exercices de respiration ou de visualisation, de méditation. A titre d'exemple, la méditation Vipassana pratiquée dans les prisons (en Inde ou aux Etats-Unis) a permis de baisser significativement les cas de récidive. L'association Yoga en prison par exemple y travaille activement.
- Arme ultime enfin, apprendre dès les premières années de l'école, à installer le calme en soi et l'harmonie intérieure, le respect et l'amour de l'autre.
Si de telles actions étaient mises en œuvre par les pouvoirs publics, alors les actes de délinquance diminueraient significativement, l'ordre et l'harmonie gagneraient naturellement du terrain. La police n'aurait pas alors à être abolie puisqu'elle deviendrait par la nature des choses, simplement inutile.
Les graffitis des jardins publics pourraient alors changer de nature et cesser de faire gamberger les coureurs du dimanche.
* La police en tant quelle apparaît au XIè siècle avec la charge de Prévôt de Paris. Elle n'est réellement structurée que sous le règne de Louis XIV sous l'impulsion de Colbert.