Par Laurent CHATEAU
Avec ses points sous les « i » et ses tirets de basse page, l’écriture inclusive joue petit bras. L’expérience scripturale laisse un goût d’inachevé, le sentiment d’un chantier abandonné par ses ouvrier-ère.s épicènes, dans la rase campagne de la syntaxe, au milieu du gué des mots.
Loin de représenter la diversité de la réalité du genre humain, le pavé de cette révolution grammaticale n’a pas fini sa course, ni encore pleinement touché la tête de sa cible hétérosexuelle et phallocratique. Au-delà du simple genre, de nombreuses inégalités méritent encore d’être dénoncées par l’écriture, d’autres souffrances révélées aux yeux du monde par le texte.
Nos écrits trop lisses doivent devenir militant.e.s, s’affranchir des conventions patriarcales, héritées d’un passé révolu et asservissant. Les mots doivent désormais porter le cri des damnés de nos sociétés castratrices. Les lettres doivent porter la souffrance et le sang des "'sans-lettres", occuper le seul espace qui reste à prendre dans l’héritage méphitique que la société mâle, blanche et dominante nous a livré. Entre les mots, les points et les crochets seront notre nouvelle bannière, notre marteau et notre faucille, notre nouvelle Internationale et notre nouvel espace de conquête. Nous créerons de l’unité par plus de séparation encore.
Dans ce travail de déconstruction qui nous appelle et cette grammaire sans règle à laquelle on aspire, il nous faut aller chercher toutes les différences que la Création a mis sur notre chemin pour en faire notre nouveau phalanstère. Chaque écart doit devenir une cause, le motif naturel du soulèvement des esprits et d’une nouvelle séparation. On a levé les poings hier, il nous faut lever les points aujourd’hui. La ligne de l’écrit devient notre nouvelle ligne de front, notre unique point de fuite. L’extension de la lutte doit se poursuivre aujourd'hui par la lutte de l’extension de nos mots. L’esthétique, la simplicité, le patrimoine partagé et universaliste de la francophonie et l’unité supposée de la langue française qui lui est associée, ne sont que les faux-nez d’une classe gentrifiée et andropocénique, qui entend tout faire pour maintenir sa position dominante.
Dans cet esprit, cet article de recherche, rédigé par le Collectif d’universitaires « Écriture explosive », se propose d’aller plus loin dans la visibilisation des masses souffrantes et de renoncer plus clairement encore à l’héritage de ceux qui ont bafoué les droits les plus élémentaires de la représentation des peuples.
Parmi les propositions que nous souhaitons apporter à la science philologique, nous avons retenu les règles scripturales ci-dessous :
- Opter indifféremment pour le point, le tiret, le crochet ou le « slash » pour indiquer une différence de genre.
- Opter de temps à autres pour une majuscule pour honorer les plus grands de notre population qui se sentent dénigrés par leur taille.
- Oublier de temps à autres une lettre pour célébrer les personnes qui se sentent invisibilisés dans la société maltraitante actuelle.
- Ne conserver que la partie gauche de la lettre en l’honneur de tous les gauchers qui se sentent marginalisés dans une société de droitiers.
- De mettre en gras certaines lettres pour reconnaître comme il se doit les personnes en surpoids au sein de la population.
- De mettre en italique les voyelles, en guise de reconnaissance vis-à-vis des personnes voûtées par l’âge et méprisées par une société gérontophobe.
- De mettre en jaune la lettre « A » comme « Asie », pour reconnaître la communauté asiatique, en rouge la lettre « I » et en hommage à tous les Indiens d’Amérique massacrés par les colons blancs européens. La lettre bleue pour reconnaître les personnes qui se projettent dans le monde des schtroumpfs n’a pas été retenue à ce stade par la commission. La même commission a estimé que la communauté noire était déjà représentée par la couleur typographique généralement adoptée par les supports écrits. Une réflexion est engagée pour faire évoluer l'omniprésence de la couleur blanche du papier.
- De doublonner certaines lettres pour renforcer la visibilité des communautés homosexuelles.
- De retourner verticalement certaines voyelles pour mieux reconnaître les personnalités bipolaires.
- De retourner horizontalement certaines consonnes pour faire exister les profils schizophrènes.
- De coucher enfin certaines lettres pour consacrer les plus faibles d’entre nous.
Bien évidemment, cette liste n’est aucunement exhaustive et n’est qu’une amorce réflexive. Elle porte les prolégomènes d’un courant qui sera amené à s’enrichir au fil des travaux académiques de nos nombreux chercheurs engagés dans l'émergence de ce nouveau VIS (Véhicule d'Interaction Scriptural). Dans le respect total de la diversité idiosyncratique, chacun peut librement s'exprimer et l'enrichir en l’agrémentant de ses souhaits propres et créatifs. Pour reconnaître la pleine diversité des individus, l'idéal inclusif auquel nous aspirons reste la création d'un VIS personnalisé et propre à chacun (ajout d'émoticônes, invention de nouveaux caractères typographiques...).
A titre d’exemple et pour pleinement signifier le caractère opératoire de nos propositions, la simple phrase : « Les professeurs et chercheurs français sont allés soutenir un militant wokiste qui a incendié la maison d’un quinquagénaire blanc hétérosexuel » deviendrait par l’évidence des choses :
Pour aider à la bonne application de ces quelques règles simples, il est proposé de créer une commission spéciale au sein de l’IUFM (Institut Universitaire de la Formation des Maîtres) et que l'on se propose d'intituler la "CREE" pour "Commission Régulatoire de l’Ecriture Explosive". Elle devra déboucher sur l’élaboration d’un manuel en quadrichromie à destination privilégiée des enseignants et rendue obligatoire à compter de la rentrée 2023 dans l’ensemble des collèges, lycées et universités de France. La nomination des nouveaux professeurs devra être conditionnée par la pleine maîtrise de ces quelques règles simples par le candidat enseignant. La presse se devra de donner l’exemple sous peine d’être désignée nommément et subir la juste dénonciation du « name and shame ». Les étudiants eux-mêmes seront invités à enregistrer de manière systématique les cours dispensés par les enseignants et à révéler toute voix déviante du présent manifeste. Les enfants seront également appelés à ramener leurs parents récalcitrants dans le droit chemin, en n'hésitant pas au besoin à en référer à leur Correspondant Local en Ecriture Explosive (CLEE). Nous recommandons que tous les écrits publics et publications d'auteurs se conforment à compter de ce jour aux présentes recommandations, logiquement applicatives à la lettre. Un courrier sera adressé en ce sens à l'ensemble du monde éditorial ainsi qu'au pouvoirs publics.
La mise en oeuvre de ces quelques mesures devrait grandement faciliter le dialogue des individus et des peuples entre eux. Elles vont triompher sous peu des règles grammaticales arbitraires actuellement en vigueur dont l'objectif premier vise à maintenir la suprématie de classe de quelques uns. Les mots vont désormais chanter sur les décombres d’une syntaxe de nantis et apporter enfin la joie et l'unité à notre dignité meurtrie.
La victoire est à portée de point.
Le collectif de recherche « Écriture explosive »
NB : le présent manifeste a été volontairement écrit sans adopter les nouvelles Règles de Visibilisation Orthographique (RVO) pour en permettre la diffusion maximale.
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