Par Laurent CHATEAU
En matière de bonheur ou de leadership, nos travaux nous ont amené à la formulation d’un modèle, exprimé sous la forme d’une équation à 4 variables. Cette équation pose notamment que le bonheur ou le leadership sont moins un objectif en soi que la conséquence et le produit de 4 paramètres distincts que sont : le Sens, le Temps, l’Amour (à soi, aux autres et au monde) et l’Energie.
Comme la plupart des modèles éprouvés, leur puissance réside dans leur flexibilité, dans leur simplicité et leur capacité d’adaptation. Dans cet esprit, on va découvrir qu'il est possible de décliner l’équation du bonheur pour la mettre au service de la prévention des accidents du monde du travail, en aménageant légèrement ses variables constitutives.
Adapter les variables du modèle
Pour répondre et couvrir au mieux la problématique de la diminution des accidents du travail, les variables du modèle se doivent d’être adaptées. Dans ce jeu d’équivalence, la variable du « Sens » pourra rester la même et conserver son appellation. La variable du « rapport au temps » restera également inchangée. La variable de l’« amour à soi » se transformera en «Protection individuelle », l’ « amour à l’autre » portera l’appellation de « vigilance partagée » et l’ « amour au monde » traitera de la « sécurisation de l’environnement ». La question de l’« énergie » enfin pourra porter le nom de « Ressourcement ».
Poser l’équation
Les variables posées, il est alors possible de dérouler très simplement l’équation suivante :
Nombre d’accidents = (SENS) x (TEMPS) x [(PROTECTION INDIVIDUELLE) x (VIGILANCE PARTAGEE) x (SECURISATION DE L’ENVIRONNEMENT)] x (RESSOURCEMENT)
Si on le souhaite, on peut affiner la formule en pondérant chaque variable par un coefficient (dont la somme sera égale à 1), mais il n’est pas toujours utile d’entrer dans un tel niveau de complexité. Pour les amateurs d'abstraction, la formule algébrique devient alors la suivante :
Nombre d’accidents = α (SENS) x β(TEMPS) x γ (PROTECTION INDIVIDUELLE) x δ(VIGILANCE PARTAGEE) x λ(SECURISATION DE L’ENVIRONNEMENT) x σ(RESSOURCEMENT) avec α+β+γ+δ+λ+σ = 1
Parce que chaque variable est interdépendante et intimement liée à toutes les autres (avoir du temps permet de sécuriser son environnement et de faire attention à soi comme à l’autre, disposer du sens permet de faciliter son ressourcement, etc.), on opte dans l’équation pour un rapport multiplicatif et non pas additif des variables entre elles.
L’équation posée, il est alors possible de s’en servir comme d’une aide précieuse au questionnement.
Interpréter chacune des variables pour guider la réflexion
En reprenant chacune des variables les unes après les autres, il est en effet possible de poser un certain nombre de questions qui peut faire émerger les risques majeurs ainsi que les moyens de mieux les couvrir. Ce questionnement facilite l'identification des actions à engager dans le Plan d'Actions Prévention et Sécurité (PAPS). Sans recherche d’exhaustivité et parmi beaucoup d’autres, on peut lister les questions suivantes :
Le Sens :
- L’ennui provoquant généralement la négligence et l’implication personnelle étant compliquée en cas de démotivation, quelle est la motivation générale des équipes au travail ?
- Quelles sont les 3 actions prioritaires à mener pour renforcer la motivation générale des équipes (cf. rapport au sens individuel de chacun, au temps, à l’ambiance…) ? Les équipes ont-elles été interrogées à ce sujet ?
- L’équipe dispose-t-elle d’une « Raison d’être » ?
- La sécurité des personnes est-elle une valeur à part entière dans l’organisation, rappelée comme telle et incarnée par le top-management ?
- ...
A noter : Si l’équipe est trop motivée, cela peut générer à rebours un excès d’enthousiasme accidentogène (précipitation et perte de vigilance...).
Le Temps :
- Les équipes ont-elles le temps de travailler en sécurité, de passer en revue les check-lists sécurité ?
- Les équipes ont-elles le temps de faire un TOP (Temps d’Observation Prioritaire) avant de démarrer un chantier ou lorsque la situation le nécessite (imprévu…) ?
- Les équipes ont-elles le temps de se former ?
- Les managers et le collectif ont-ils le temps d’analyser les événements à haut risque de gravité (EHRG) et les « presqu’accidents » ?
- Les managers ont-ils le temps de réaliser des points sécurité (1/4 d’heure sécurité…) avec les équipes et d’organiser des retours sur les EHRG remontés ?
- ...
Protections individuelles :
- Chaque collaborateur dispose-t-il de ses EPI (équipements de protection individuelle) et en bon état ? Si non pourquoi ?
- Chaque collaborateur pense-t-il à se protéger ? Chaque collaborateur a-t-il conscience que ses EPI peuvent lui sauver la vie ou l’empêcher de se blesser ? Si non, pourquoi ?
- Chaque collaborateur porte-t-il systématiquement ses EPI ? Des contrôles managériaux ou par l’équipe prévention sont-ils réalisés ?
- Les actions de sensibilisation en faveur du port des EPI ont-elles été réalisées ? Ont-elles été efficaces ? Pourquoi ?
- Quelles sont les 3 principales raisons pour lesquelles certains techniciens ne portent pas leur EPI alors qu’ils savent que c’est important pour leur vie ?
- ...
Vigilance partagée :
- Des actions de sensibilisation sur l’importance de la "vigilance partagée" (faire attention à l'autre et réagir en cas de risque) ont-elles été réalisées ? Ont-elles été efficaces ? Oui/non : Pourquoi ?
- En quoi certains collègues sont-ils plus sensibles à cette question que d’autres ?
- Quelles sont les 3 actions qui permettraient de rendre les équipes plus sensibles à cette question ?
- Quelles sont les 3 raisons qui s’opposent à ce que les techniciens prêtent attention à leurs collègues ?
- ...
Sécurisation de l’environnement :
- Une analyse de l’environnement de travail est-elle systématiquement réalisée (fils qui trainent, objets qui risquent de chuter...) ?
- Des modifications de l’environnement de travail ont-elles été apportées suite à la réalisation de ce diagnostic (pose de goulottes pour éviter de trébucher sur les fils électriques, suppression des angles ou surfaces coupantes…) ?
- Les « Situations Dangereuses » (SD) remontées sont-elles rapidement et systématiquement traitées ? Si non, pourquoi ?
- Les équipes ont-elles été sensibilisées sur l’importance de remonter les SD ?
- Les alerteurs de SD sont-ils félicités/récompensés ?
- Le management visuel est-il systématisé pour infléchir les comportements (attention à la marche, tenez la main courante, nudges...) ?
- ...
Ressourcement :
- Le manager connaît-il l’état de fatigue générale de ses équipes ?
- Les managers ont-ils été sensibilisés sur les signes et symptômes de fatigue des équipes (Risques psycho-sociaux…) ? Sur les réponses à y apporter et le meilleur moyen d’y répondre (échange libre, relations avec la médecine du travail et les assistants sociaux…) ?
- Des outils sont-ils mis à la disposition des équipes pour mieux gérer le stress et recharger les batteries sur le lieu de travail (numéro vert permettant d’échanger avec un psychologue, salle de sport, salle zen de détente, yoga/qi gong, temps de déconnexion…) ?
- ...
Utiliser le "Préventomètre" et calculer son "PrévenScore"
Une fois les questions posées et la liste des actions possibles identifiées (qualitatif), il est possible de compléter l'analyse par le calcul d'un score quantitatif en notant chacune des variables sur une échelle de 1 à 100.
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable du SENS (0 = aucun sens et motivation dans l’équipe, 100 = le sens et la motivation sont partout) ?
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable du TEMPS (0 = rapport accidentogène au temps, 100 = rapport pacifié au temps permettant d’installer la vigilance et la protection des équipes) ?
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable PROTECTION INDIVIDUELLE (0 = rapport nul et très distancié aux EPI, 100 = rapport avec les EPI efficace et partagé par les équipes partout dans l’entreprise) ?
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable VIGILANCE PARTAGEE (0 = aucune vigilance partagée, 100 = vigilance partagée effective partout et appréciée des équipes) ?
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable SECURISATION DE L’ENVIRONNEMENT (0 = environnement accidentogène et dangereux pour l’intégrité du corps physique et la santé psycho-émotionnelle, 100 = excellent environnement) ?
- Quelle note sur 100 donneriez-vous à votre équipe sur la variable RESSOURCEMENT (0 = aucune capacité de ressourcement au bureau, 100 = excellentes conditions de rechargement des batteries au bureau) ?
Observez le résultat que donne le "Préventomètre" et votre notation sur chacune de ces 6 variables puis identifiez les variables sur lesquelles vous êtes performants mais surtout celles sur lesquelles vous devriez faire porter l'effort et celles pour lesquelles la notation est la plus en retrait.
Puis calculez la moyenne des variables 3, 4 et 5 pour obtenir le score de la variable « BIENVEILLANCE » (moyenne de la variable "Protection individuelle", "Vigilance partagée et "Sécurisation de l'environnement").
Puis transformez cette note sur 100 en pourcentage (en divisant par 100).
Puis faites de même avec la variable du SENS.
Puis faites de même avec la variable du TEMPS.
Puis faites de même avec la variable du RESSOURCEMENT.
Puis multipliez les 4 pourcentages du SENS, du TEMPS, de la BIENVEILLANCE et du RESSOURCEMENT pour obtenir votre PREVENSCORE.
Comment utiliser le Prévenscore ?
Ce Prévenscore est le marqueur de base et la balise de départ du chef d'entreprise, du manager ou du préventeur. A partir de là, il devient possible de le mesurer tous les mois ou toutes les semaines et de chercher à l’améliorer au fil du temps.
Si l'analyse le permet, vous pouvez tenter de corréler le Prévenscore avec le nombres d'accidents que vous déplorez pour identifier le pourcentage à partir duquel l'accidentologie se dégrade. Ce sujet pourrait faire l'objet d'une étude académique à part entière.
Si la confiance est installée dans les équipes, le manager (ou le chef d'entreprise) peut demander à ses collaborateurs de calculer le PrévenScore dans le cadre d'un atelier ou d'un formulaire en ligne, en leur demandant de noter eux-mêmes la situation du moment. Il peut enfin comparer le résultat obtenu avec sa propre notation, en le partageant (ou pas) avec son équipe.
En supposant que la notation reste objective (ce qui est toujours délicat dès que l'on en vient à se comparer), le PrévenScore peut tenter de comparer les équipes entre elles, les entreprises entre elles et leur évolution dans le temps.
Le Prévenscore rappelle qu'il est plus facile de réduire ce que l'on mesure. Il permet d'alimenter le plan d'action Prévention supposé couvrir les risques de l'entreprise. Plus fondamentalement encore, l'association des collaborateurs à son calcul est un message que le manager adresse à ses équipes pour leur signifier que leur intégrité physique et mentale est importante à ses yeux. Il peut contribuer à installer la confiance et à humaniser des relations professionnelles trop souvent bousculées et accidentogènes.
Ce type de démarche est généralement appréciée par les équipes et le meilleur vecteur d'une baisse structurelle du nombre d'accidents au sein d'une organisation. Malgré son appellation et avec toute l'humilité qu'exige l'exercice, le Préventomètre ne permettra toutefois jamais, de devenir le Maître de la Prévention.