Par Laurent Chateau
Un jour, le corsaire Robert Surcouf rencontre un amiral Anglais qui lui jette au visage la remarque fort peu diplomatique suivante : "Vous les Français, vous ne vous battez que pour l'argent. Nous les Anglais, nous nous battons pour l'honneur !" En bon marin et sans se laisser démonter, Robert lui rétorque alors dans une fulgurance extraordinaire : "Amiral, on se bat toujours pour ce que l'on n’a pas !".
Cette réplique cinglante et restée dans l'histoire est pourtant vraie : on se bat toujours pour ce que l'on n'a pas.
Celui qui est malade ne rêve que de santé. L'invalide ne pense qu'à remarcher. L'abstinent contrarié ne pense qu'à trouver un partenaire sexuel. L'impécunieux ne pense qu’au moyen de gagner de l'argent. L’ambitieux ne pense qu'à la couronne.
On se bat toujours pour ce que l'on n’a pas.
Il en est de même dans le monde du travail en ce qui concerne l’affichage des valeurs. Les valeurs affichées par les entreprises ne sont pas tant celles qui la représentent que celles auxquelles l’organisation aspire. Les valeurs des plaquettes sur papier glacé ne sont pas tant le témoignage d'une réalité que l'expression d’un souhait. Les valeurs "compliance" sont moins l'expression d'un acquis que l'accord autour d'un point sur lequel il nous faut collectivement travailler.
Contrairement à ce qu'imagine la pensée magique de gouvernants hors sol, les valeurs ne disent pas qui vous êtes, elles racontent davantage ce que le top Management attend de vous et de l'ensemble des collaborateurs. Les valeurs ne sont pas tant la manifestation du réel qu'une aspiration, supposément collective et partagée. Elles ne sont pas un reflet, elles sont une proposition. Elles ne sont pas une force ou un plein mais au contraire l'expression d'un manque et d'un vide. Elles ne sont pas l'affirmation d'un atout, mais au contraire, un aveu de faiblesse. Elles ne représentent pas le présent mais un futur souhaitable. Les valeurs représentent ce que vous n'êtes pas car il n’est aucun besoin de dire ce que tout le monde sait déjà que l’on est. Si vous êtes une femme, un homme grand ou petit avec un pull rouge, le fait de l'énoncer ne présente strictement aucun intérêt puisque tout le monde l'observe dans l'instant. On n'affiche pas une évidence.
Comme pour les qualités revendiquées d'un individu, les valeurs sont avant tout un non-dit et un art de l'incarnation bien davantage que de l’incantation. Elles vivent et s’épanouissent dans la discrétion plutôt que dans les écrits et les éléments de langage. Les valeurs sont d’essence Yin et s’effarouchent dans l’ostentation du Yang. Elles n'aiment pas la force de l'affichage et préfèrent la douceur de l'exemple. Elles sont une conséquence observée et non une intention proclamée.
À la lumière de cet enseignement, relisez les valeurs de votre entreprise ou celles de vos concurrents et vous aurez sous les yeux les points sur lesquels il leur faut travailler. Vous comprendrez alors avec clarté, l'écart fréquent qui existe entre les slogans affichés sur les cimaises du siège social avec la réalité observée du Top Management. Dans le fracas de la rencontre de la Terre et du Ciel, la sagesse du Tao appelle alors à une forme d'indulgence, car elle aide à comprendre qu'...
on se bat toujours pour ce que l'on n'a pas !