Par Laurent CHATEAU
Un contexte à dominante "Métal"
Je l'ai évoqué dans d'autres articles, le temps de la société comme de l'entreprise renvoie à la tonalité du Métal : appel au sacrifice, sacralisation de la machine et de l'algorithme (IA, data, robots, KPI...), survalorisation de la performance sans affect (augmentation et transhumanisme), prééminence de la finance, protectionnisme et repli ambiants (l'énergie centripète du Métal), jugements sans nuance (Métal Yang qui tranche), renforcement de la règle, du contrôle et de la loi, démotivation ou abattement chronique des équipes (Métal Yin)...
Les jeunes à la recherche d'un emploi ou en première expérience professionnelle notamment n'échappent pas à cette atmosphère chargée de particules métalliques et 4 expériences qui m'ont été rapportées, en apportent l'amer témoignage. Ce jeune diplômé par exemple prend des initiatives (organisation d'un forum professionnel) mais il lui est rappelé son caractère de "Junior" ("ce n'est pas à toi de lancer cette action", elle n'est pas prévue dans le plan d'actions !") tout en lui rappelant toute l'importance de rester "force de proposition". Perdu dans le marécage des injonctions paradoxales, un micromanagement s'installe et l'empêche de grandir. La rupture conventionnelle fut libératoire mais le premier contact avec le monde de l'entreprise fait figure de repoussoir. Cette autre jeune thésarde en neuropharmacologie travaille dans un laboratoire de recherche sur des traitements innovants concernant les neurotransmetteurs cérébraux impliqués dans la maladie d'Alzheimer. Motivée et souhaitant faire "bouger les choses" et "avancer la science", elle se retrouve malheureusement harcelée par sa directrice de thèse. Elle achève au forceps sa thèse mais perd le goût de la recherche et du monde académique avec sa "foire aux ego". Pharmacienne en officine aujourd’hui, ses travaux de recherche ne serviront à personne. Cet autre étudiant est embauché par une start-up mais découvre rapidement que la politique marketing et commerciale ne tient pas la route. Le CEO n’admet pas de se remettre en question et d’adopter la langue de la vérité vis-à-vis notamment de ses investisseurs, auprès de qui des fonds ont été levés. Il a démissionné après 2 autres personnes du service dont le directeur commercial. Ce dernier jeune enfin gagne bien sa vie mais il ne reste dans l'entreprise que pour le salaire généreux qu'on lui verse, le mercenariat commence tôt.
Les indicateurs du monde de l'entreprise virent quasiment tous au rouge
Sans valeur statistique, ces quelques exemples ne traduisent pas la variété des situations. Pour autant, ils viennent confirmer les chiffres dramatiques du rapport des salariés au monde du travail. Parmi beaucoup d'autres indicateurs, on peut citer les suivants :
Perte de sens, démotivation, insatisfaction, management :
- Près de 63% des Français s’ennuient au travail. 90% d’entre eux n’en parlent pas et 60% font semblant d’avoir un job de rêve. (Agence Qapa, 2018)
- 60% des 15-29 ans (hors stagiaire et alternants) sont insatisfaits de leur emploi (Étude DARES, oct. 2023)
- Près d’un Français sur deux est désengagé au travail et 67% s'y rendent mécaniquement (Etude Qualisocial et Ipsos, 2023)
- 55 % des salariés ne connaissent pas ou n'adhèrent pas à la stratégie de leur organisation, 50% jugent les dirigeants distants et déconnectés de la réalité, pas à leur écoute, pas empathiques et pas proches d'eux (Baromètre Whistcom-OpinionWay, oct. 2023).
- 42 % des cadres démissionnent dans les deux ans suivant leur embauche, contre 22 % pour l'ensemble des salariés (APEC, nov. 2023). 43 % des actifs envisagent de quitter, dans les deux ans, leur emploi pour un autre ayant plus de sens (Rapport "Projet Sens", juin 2023).
- Seulement 14% des salariés aspireraient à devenir manager (Etude McKinsey, 2021)
- 42 % des salariés français ne font pas confiance à leur manager pour prendre une bonne décision concernant leur carrière (Etude OpinionWay pour Tellent, Mars 2024).
- 68 % des salariés de 11 pays préfèreraient parler de leurs problèmes de stress et d’anxiété au travail à un robot plutôt qu’à un manager. Ce chiffre s’établit à 60 % en France (Etude Oracle et Workplace intelligence sur l’IA au travail, 2020)
- 3 suicides par jour sont directement liés au travail (Santé Publique France).
- Près d’un salarié sur deux estime être en “détresse psychologique” (Baromètre du cabinet Empreinte Humaine, nov. 2023).
- Trois salariés sur quatre travaillant en open space sont en souffrance (Sondage LinkedIn – déc. 2023)
- 34 % des salariés seraient en état de burn-out dont 13 % en burn-out sévère, soit 2,5 millions de personnes (Etude OpinionWay pour le cabinet Empreinte Humaine, 2022).
- La proportion de salariés qui sont “tout à fait d’accord” pour dire que leur emploi exige qu’ils travaillent “très dur” est passée de 30 % en 1992 à 46 % en 2017. La part de ceux qui déclarent travailler dans des “délais serrés” pendant au moins les trois quarts de leur temps est passée de 53 % à 60 %. Et la part de ceux qui affirment travailler “très vite” pendant au moins les trois quarts de leur temps est passée de 23 % à 45 % (études gouvernementales du Royaume-Uni). Ces chiffres sont probablement plus dégradés encore aujourd'hui.
- 76 % des cadres indiquent être connectés en dehors de leur temps de travail pour des raisons professionnelles. 69 % des cadres aspirent au droit à la déconnexion effectif (contre 60 % en 2019), (Baromètre ViaVoice et Secafi, nov. 2021
- Laurent Cappelletti, professeur au Cnam, considérait en 2023 que le"manque de prise de conscience des gains potentiels liés au management" génère des coûts cachés situés « dans une fourchette allant de 20 000 euros à 70 000 euros par personne et par an (turn-over, absentéisme, manque d'investissement et moindre productivité, ennui...)
- Etc.
Le monde de l'entreprise est objectivement maltraitant. Des ouvrages cherchent à réhabiliter l'aventure professionnelle et le monde de l'entreprise* et c'est sans doute utile. Pour autant, les salariés sont malheureux et en souffrance, les anciens mal reconnus, les jeunes étouffés, bridés, mal payés (voir les mouvements "act your wage" ou le "quit quitting") ou mal compris. Le travail devient de plus en plus alimentaire, un mal nécessaire. Sans jouer sur les mots, à faire tourner à toute force le moteur de l’économie, notre humanité perd son essence.
Parvenu à ce stade d'abattement et avant de sauter par la fenêtre de la salle de réunion du COMEX, il peut être intéressant de convoquer les 5 maîtres de vérité pour tenter de trouver quelques pistes de résolution : la nature (avec un arbre), un animal (avec un chien par exemple), le corps, un enfant et l'amour. Les réponses ci-dessous sont formulées sous la forme d'un dialogue entre le maître de vérité et le dirigeant.
Les réponses possibles des 5 enseignants de vérité
Que répondrait un arbre à cette situation ?
- Que fais-tu aujourd'hui (dans le cadre de ton activité et avec ton organisation, NDLR) pour que tes petits-enfants puissent continuer à venir me voir et grimper dans mes branches ?
- Que fais-tu aujourd'hui (dans le cadre de ton activité et avec ton organisation, NDLR) pour que je puisse continuer à vivre et rester avec mes amis les autres arbres et les oiseaux ?
Que répondrait un chien à cette situation ?
- Pourquoi tu t'embêtes avec tout ça ? Il fait beau dehors. Viens jouer et faire du sport avec moi.
Que répondrait le corps à cette situation ?
- J'ai mal. Il faut que cela cesse. Que fais-tu aujourd'hui pour soulager mon mal-être ?
- Je vois et je ressens que les autres ont mal aussi. Comment peux-tu soulager leur souffrance ?
Que répondrait un enfant à cette situation ?
- Pourquoi tes salariés sont-ils malheureux ? C'est toi qui les rend tristes ?
- T'as l'air fatigué. Tu veux un bisou magique ?
Que répondrait l’amour à cette situation ?
- Qu'est-ce qui donnerait une joie profonde et durable à tes équipes ? A tes clients ? A tes fournisseurs ? Au vivant ? Tu leur as demandé ?
- Qu'est-ce qui te rendrait heureux d'avoir accompli à la fin de ta vie et qui pourrait aujourd'hui concerner tes équipes, tes clients, tes fournisseurs, le vivant ?
Avec leurs mots qui semblent ne pas y toucher, les maîtres de vérité nous demandent de :
- trouver le sens supérieur de notre activité et de mettre en conscience les entreprises au service du vivant (raison d'être, entreprise à mission...)
- pacifier notre relation au temps (ralentir) pour faire exister l’autre et soi-même,
- désacraliser la technique et honorer le biologique,
- redécouvrir notre corps et le corps de nos collaborateurs,
- partager les richesses,
- redécouvrir une certaine légèreté de la vie sans oublier
- d'ouvrir son cœur.
La réponse du modèle des 5 énergies
En s'éloignant doucement des 5 maîtres de vérité et en méditant leurs enseignements, on pourrait également se rappeler l'existence du modèle des 5 énergies qui peut être utilisé comme une forme d'"acupuncture d'entreprise" et qui a été développé dans un autre ouvrage.
Le diagnostic médical poserait les constats suivants :
- De manière générale, le "corps social" souffre d'un manque chronique de motivation, de reconnaissance et d'énergie. Le corps social est assimilé en médecine taoïste à la Rate (les muscles, la chair) qui se trouve ici en état de "vide" énergétique.
- La Rate du management et des équipes est naturellement alimentée par le Coeur-Direction qui le précède directement dans le modèle. Sans "Raison d'être" élevée et/ou sans grande capacité ou volonté d'incarnation, le Coeur-Direction se trouve lui-même en situation de vide, dans l'incapacité de nourrir ses équipes et son "corps social", ses "enfants" au sens du modèle.
Le médecin taoïste concluerait que la situation pathogène du monde de l'entreprise provient d'un déséquilibre chronique du Coeur-Direction qui se traduit en médecine énergétique par une incapacité à donner et trouver le sens, à une agitation permanente, une volonté de tout contrôler et une difficulté à déléguer, un interventionnisme pénible et arbitraire, une impatience stressante et parfois autoritaire, une difficulté à écouter et un besoin de surcommuniquer ou d'en faire trop. La Rate/Terre du "corps social" qui dépend de l'impulsion du Feu-Direction, s'épuise et se trouve en état de vide chronique. La représentation énergétique du diagnostic est alors la suivante :
Dans son état de déséquilibre (à mi-chemin entre le vide et le trop-plein), le Coeur-Direction peut passer sous le contrôle du Métal/Poumons qui vient l'inquiéter en lui parlant de finances et de l'incertitude de l'avenir. La pression sur les commerciaux du Foie s'accentue.
En pareil cas, le médecin taoïste sait que le rééquilibrage du système ne peut provenir que de l'Eau, le sage et le conseiller de l'Empereur dans la Chine traditionnelle. L'Eau de la RSE, du Marketing stratégique, de la R&D ou de la production peut aider le Cœur à y voir clair et à le rassurer, à voir loin et à reprendre confiance. L'organe pivot de la résolution du système désharmonisé repose sur ces fonctions clés. A l'occasion, un cabinet prestataire peut provisoirement faire l'affaire pour éclairer le chef, l'expertise de l'Eau étant alors provisoirement externalisée. Les quelques conseils que l'Eau pourrait délivrer au Cœur à la recherche de sérénité et de performance sont ceux qu'ont portés plus haut les 5 maîtres de vérité.
Pourrait-on être plus précis ? Probablement, mais il vous faudra alors réunir un arbre, un chien et un enfant facétieux, sans oublier de convoquer votre corps et votre Cœur, si le dialogue avec eux est encore possible.
Une fois réuni, nul doute que ce "club des 5" saura trouver le moyen d'apaiser la souffrance de vos équipes et de nos temps de Métal, sans oublier de répondre aux questions performantielles (ou performant-Ciel 😉) qui vous taraudent.
* Pierre Gattaz par exemple avec son dernier ouvrage : "Enthousiasmez-vous !".