Le Yin-Yang de la Terre et de l’Eau

Le dernier ouvrage de Sylvain Tesson fait référence au littoral et à l'étroit liseré qui sépare les mondes de la Terre de l'Eau. Une formidable occasion de convoquer la puissance de la symbolique du Yin/Yang et de laisser courir son imagination. Détail et hommage.

· Concepts taoïstes

Par Laurent CHATEAU

Avec sa sensibilité instinctive coutumière, Sylvain Tesson a présenté début janvier, son dernier ouvrage intitulé : « Avec les fées » aux éditions des Équateurs. Lors de son passage à l’émission de « La Grande librairie », il a notamment fait allusion à la ligne de crête qui sépare le monde des hommes qui évoluent sur la terre, du monde de l’inconnu et de l’océan qui se trouve au large. Il s'y déclarait notamment fasciné par ce trait de côte et par la falaise, par l'entre-deux littoral qui sépare l'espace anthropique de l'espace océanique.

Cette ligne de démarcation soulignée par l'écrivain ne peut que rappeler la fausse dualité du Yin-Yang et nourrir quelques libres inspirations que ces lignes vont tenter de décrire.

La localisation de la Terre et de la mer sur le TaïJi Tu

Si l’on devait dans un premier temps représenter la Terre et les océans sur le symbole du Yin/Yang (TaïJi Tu), il est fort probable que l’on récupérerait la transposition suivante :

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Comparativement à l’Eau, la Terre apparaît ici davantage dans sa polarité solide, Yang et matérielle contrairement au Grand Yin de l’Eau, silencieuse, sans forme, sans couleur, sans odeur et sans saveur. A certains égards et pour les puristes, la douce saveur salée et le léger bruit des vagues peuvent s’assimiler au petit point blanc dans le grand noir de son immensité. Par complément, le petit point noir dans le blanc de la Terre peut apparaître comme le calme de la nuit après le grand bruit du jour.

Dans son rapport à la matière, le blanc porte les continents et le dur, le noir le souple et l’insondable. Le petit point noir porte l’eau sur la Terre (les lacs, les nappes phréatiques...), le point blanc la Terre sur l’Eau (les îles).

La vie et le vide

Surpris par sa propre audace, on peut ensuite se poser la question de la résidence de la vie dans l’un et l’autre des deux mondes. Dans le monde de l’Eau, la vie (poissons, algues, coraux, crustacés, zoo et phytoplancton...) réside principalement en-dessous, sous la ligne de flottaison, là où l’on ne voit plus, là où les sens de la vue et du toucher sont de moins en moins utile au profit du son et de l’odorat (pour repérer ses proies ou ses partenaires). La vie du dessus de l’eau ne contient de son côté que quelques nuages et quelques rares volatiles imprudents ou égarés entre deux points de terre.

Dans la réalité solide en revanche, la vie est au-dessus, portée par la croûte terrestre et par la légère couche d’humus qui se laboure et qui nourrit le biotope. Arbres, insectes, reptiles, mammifères, oiseaux, torrents, la vie est partout, diverse et fourmillante. A quelques dizaines de mètres du sous-sol en revanche, la vie se raréfie et se réduit à la plus simple expression des bactéries, des tardigrades et des êtres unicellulaires, au proto-monde d’avant la diversité exubérante du vivant, au monde de la vie minuscule, réduite à l’état de potentialité.

C’est ainsi que l’on pourrait considérer que le vide réside de manière dominante sous la Terre dans le monde de la densité et que la vie se trouve au-dessus. Dans le monde de la fluidité et de l’océan à l’inverse, la vie est en dessous et le vide se maintient au-dessus.

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Si l’on adopte la langue du Yin-Yang, en considérant que la vie est Yang et représentée par un trait plein et que le vide est Yin, représenté par un trait discontinu, on récupère ainsi les deux bigrammes suivants :

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Dans la parfaite complémentarité dynamique des bigrammes, on ressent que de l'Eau va sortir la vie sur Terre (le poisson a produit le reptile, le fœtus nait de l'eau) mais qu'en retour, la vie sur Terre finira par rejoindre l'Eau à un moment ou à un autre (montée des eaux, retour au sans forme de l'Eau et à l'Unité Suprême : TaïYi).

La vie étant un jeu, si l’on joue à coiffer le monde de la Terre et le monde de l’Eau par le Yang du Ciel, on récupère alors le trigramme du Vent pour la Terre et le trigramme du Feu pour l’Eau.

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Le Vent porte la dissémination de la vie partout sur la Terre lorsque le Feu fait fondre la glace et engendre la vie du monde de l'Eau. Sans arbre et sans fleurs aériennes, le Vent est de peu d'utilité sur l'Eau. Le Feu sur la Terre ne modifie pas la structrure fondamentale de l'environnement en cas d'absence contrairement à l'Eau qui devient banquise. Vent et Feu sont les trigrammes parfaits de l'expression maximale de la vie sur chacun des territoires terrestres et aquatiques.

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La place de l’Homme entre la Terre et le Ciel

Le grand oublié de cette histoire reste l’Homme (au sens d’Homo), dont le plan se situe entre les 2 puissances de la Terre et du Ciel.

Vu sous un certain angle, l’Homme évolue entre deux couches de vide. Le vide de la Terre qui se trouve sous ses pieds et le vide de l’espace dans lequel il grelote et où il ne peut respirer. Sur le plan alchimique, on peut même y retrouver la double vacuité de l'espace inter-atomique et du vide cosmique.

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C’est ainsi que si l’on joue à représenter la vie par un trait plein Yang et le vide par un trait Yin discontinu, on récupère alors par superposition des couches successives, le trigramme de… l’EAU :

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Si le trigramme de l’Eau est en lien étroit avec le Ciel, le sans-forme et le Un, il est surtout ici, un rappel que la vie nait dans l’Eau et qu’elle doit être protégée.

Magie du symbolisme et de la sagesse des anciens, le Yin/Yang n’a pas fini de nous surprendre.