Ego, no go ?

Le texte ci-dessous ouvre l'ouvrage "Mon ego, ce héros", publié en novembre 2015. Il amorce l'idée que l'ego n'est pas cette bête immonde dont il faudrait à toute force se débarrasser mais au contraire et à l'image des arts martiaux, un partenaire de son évolution intérieure. L'ouvrage se conclue par un dialogue des deux ego, en clin d’œil à un café célèbre de Paris.

· Développement perso

Par Laurent CHATEAU

Certains courants de pensée veulent tuer mon ego, mon ego à moi, ma patrie intime, mon continent de vie. Le jeter au tout-à-l’ego. Haut comme trois lettres, c’est pourtant lui qui m’aide à avancer depuis que je suis tout petit. Un auteur d’origine orientale, que mon ego m’interdit de citer pour éviter de lui faire de la publicité, déclare que le pouvoir de l’ego se borne à contrôler, à prédire et à défendre et plus loin que l’ego n’offre aucune possibilité d’épanouissement. Il est volonté de maîtrise sans amour. Un autre écrivaillon de là-bas m’indique que l’ego n’est qu’une ombre, une obsession et une illusion. L’Inde m’a tué.

Ces courants orientalistes et égocidaires m’expliquent encore que la liberté naît du bannissement de son ego et qu’il me faut l’éliminer après force méditations et mortifications intérieures. Ces mouvements égoraphobes tentent d’insinuer la culpabilité dans mon être-té consciente et inconsciente en rendant la colonne vertébrale et mon axe de vie responsables des maux de mon existence, de nos sociétés et de notre environnement. Pas moins. L’ego est né méchant, sous le regard torve et malveillant des sorcières qui se sont penchées sur son berceau. Mauvais jusqu’à la racine, il démarre les verbes « égosiller », « égorger » ou donne son nom à une scie « égoïne » supposée trancher et couper ce qui doit l’être. Ego, no go.

Tout cela tourne dans ma tête et me torture. Faut-il jeter l’ego avec l’eau du bambin qui est le père de l’homme ? Qu’est-ce que l’ego ? Est-ce moi ou pas seulement moi ? Est-il bon ou mauvais ? Comment soigner son ego et signer la paix des braves avec lui ? Comment en faire une force ? S’appuyer sur son énergie maligne pour contribuer à son bonheur et passer au niveau supérieur du jeu de la vie ? Existe-t-il un ou plusieurs ego ? Comment mieux les connaître ? Que deviennent nos ego lorsqu’ils sont agglomérés ? Comment fonctionnent deux ego qui se parlent ? Peut-on continuer à vivre après avoir tué l’ego ? Et d’abord, peut-on fonctionner sans ego ?

Ces questions me taraudent depuis longtemps, à l’image d’un personnage lovecraftien. Un ami me dit un jour à table que sa femme lui reproche son égoïsme, mais que lui-même ne saurait trop définir ce qu’est l’ego et que ma foi, le saurait-il, il ne saurait trop comment s’y prendre. Bref, je prends prétexte de cette synchronicité pour relever le gant et tenter de l’aider dans son questionnement existentiel, par ailleurs de nature à améliorer les relations conjugales qu’il entretient avec son épouse, ce qui n’est pas le moindre des services à lui rendre.

J’ai donc décidé de m’entretenir avec Lui, mon Ego, de me couvrir le chef d’un casque lourd et de descendre dans les noires profondeurs de mon être. Une confrontation d’homme à ego, à poings nus, simplement vêtu des arguments de celui qui pense et veut avoir raison ; une négociation sans haine mais virile que je serais tenté d’appeler une « egociation ». Dans l’arène circulaire de moi-même, j’ai à la vérité envie de lui faire goûter le sable [CR1] et de lui enseigner l’amertume de la faiblesse, de l’abandon, de l’abdication, de la défaite, de le faire passer sous le joug des vaincus à la manière de Vercingétorix aux pieds de César. J’ai envie de réussir là où Luke Skywalker (dans La Guerre des étoiles) a échoué, dans le combat qu’il a livré dans la grotte de l’initiation, sous le regard bienveillant de Maître Yoda.

J’ai envie de coucher la sapience révélée sur ces pages afin de discerner le faux du vrai et de m’ouvrir à une forme de clarté intérieure susceptible de m’aider à avancer et tenter de faire avancer ceux qui auront la bonne idée de lire ces lignes.

Mon ego me parle déjà et me dit : « Si tu veux être lu, fais court et distrayant. » Ai-je envie de l’écouter ? La lutte n’ayant pas encore commencé, j’ai tendance à lui donner raison pour l’instant, même si je décide ici qu’il n’en sera pas toujours ainsi. Le beau jeu martial ne consiste-t-il à donner à l’adversaire la primeur de la première attaque ? Messieurs les Anglais, tirez les premiers. Le panache, toujours.

Et l’ego ?...

Dessus.