Par Laurent CHATEAU
Avatar est un film d'éveil
Il est, paraît-il, un nouveau trouble de société qui s'appelle le "syndrome post-Avatar". Celui-ci se manifeste lorsque les lumières se rallument, par un profond sentiment de tristesse, d'abattement ou d'angoisse, lié au retour dans le monde réel qui est le nôtre et qui apparaît soudainement, gris, morne et désenchanté.
En effet et c'est l'objectif, le monde d'Avatar est un monde rêvé et projeté, une société idéale où règne l'harmonie, dans laquelle notre humanité brutale et désalignée jouerait le mauvais rôle, celui de perturbateur d'équilibre qu'une certaine époque aurait volontiers appelé le "Mal" ou bien "Satan". A se comparer à la projection maléficiée de nous-mêmes et à oublier notre propre lumière d'espèce, le retour de manivelle ne peut être en effet que violent. Le spectateur devrait en avoir conscience avant la projection et s'y préparer psychologiquement. Des producteurs conscients et responsables auraient sans doute prévu une mention spéciale en générique d'entrée, du type : "Attention, le film que vous allez voir est une fiction. Certaines séquences sont susceptibles de heurter certains publics non avertis". Le film lui-même aurait dû être interdit aux adultes de plus de 8 ans.
Bien que la notion de "Bien" et de "Mal" soit somme toute fort relative*, le film est avant tout une métaphore édénique, une critique esthétique et nécessairement caricaturale de nos travers de société et de notre arrogance d'espèce. Par contraste, le monde Pandora est de son côté trop beau pour l'être assez comme aurait pu le dire Marivaux.
Qui plus est, Avatar est une expérience sensitive aiguë où tous les capteurs corporels sont sollicités, où l'émotion est partout. La réflexion est en creux, plus lointaine mais bien présente en toile de fond. Sollicitant les 3 plans corporel, émotionnel et psychique, le film a été construit par son réalisateur et scénariste génial et méticuleux à l'extrême, pour devenir par intention et inspiration, un blockbuster universel, un succès planétaire, une machine à rêve (et à cash). Pour la petite histoire, il est bon de rappeler que le scénario et la création du monde de Pandora de James Cameron, lui sont parvenus lors de ses rêves adolescents et il est amusant de constater que le nom de James Cameron n'est pas phonétiquement très éloigné de James Camera 😉.
Intelligible par toutes les cultures, le film nous projette dans un archétype de société harmonieuse, un futur universellement souhaitable ou désirable. Il est la projection onirique d'un monde d'après qui ressemble à bien des égards au paradis originel de la Genèse. Il est ce monde meilleur auquel chacun d'entre nous est susceptible d'aspirer, à un moment où le doute et l'inquiétude bistre suintent de tous les pores de la société (écoanxiété, insécurité, démographie, fin de l'abondance...). Avatar est une réponse sociétale à l'angoisse existentielle qui nous étreint, il est un révélateur de l'espace qui nous sépare de l'harmonie, du saut de conscience qu'il nous reste personnellement et collectivement à accomplir pour y accéder. Le monde de Pandora (qui apporte le chaos à l'Humanité dans la tradition grecque) est un reflet qui nous oblige à comparer, à réveiller notre conscience, à poser un regard sans fard sur notre réel ("ce qui cogne" disait Lacan) et à déciller nos yeux encombrés par l'habitude, la paresse, la croyance et les conventions. Par le jeu des contrastes et des couleurs (le gris pour les hommes, les couleurs chatoyantes et fluorescentes pour les natifs de Pandora), Avatar porte un éclairage douloureux sur le monde terne, enlaidi et dysharmonieux qui est le nôtre. A l'image d'une lumière forte qui vient heurter la rétine après une trop longue nuit passée dans une cave sans fenêtre, cette révélation ophtalmique peut être douloureuse, nourrir possiblement la crainte ou le désespoir.
Que pourrait-on retenir d'Avatar 1 ou 2 pour notre société de demain ?
A partir des deux opus d'Avatar, la liste ci-dessous reprend quelques pistes inspirantes et possibles pour construire la société meilleure de demain sur le plan individuel ou collectif. Il en existe sans doute de multiples autres. Exercice éducatif et mobilisateur, on ne peut que conseiller aux enseignants et éducateurs qui lisent ces lignes, de faire plancher leurs élèves sur la question suivante : "Quels sont les enseignements ou les points positifs que vous retenez du film Avatar 1 et/ou 2, pour vous-même ou pour la société" ? De beaux échanges et enrichissements mutuels en perspective.
Sur le plan individuel : Avatar nous rappelle...
- L'importance de se connaître et de connaître les lois qui nous entourent, de s'adapter au réel puis de travailler et de rester vigilant pour ne pas mourir (le héros est attaqué par la tigresse dans Avatar 1 et se trouve sauvé par celle qui connait les dangers de la forêt).
- L'importance de s'adapter. Ne pas s'adapter, c'est mourir. Les "natifs" de Pandora apprennent à se servir des fusils et à connaître leur ennemi.
- L'importance d'apprendre à voir l'autre avec le cœur ("Je te vois"), accéder à la sincérité et à l'authenticité de la relation, de faire tomber les masques et les jeux d'apparence, le monde des vanités. On retrouve ici l'enseignement du Petit Prince : "On ne voit bien qu'avec le Cœur".
- La puissance du collectif et de l'unité qui permettent d'obtenir des résultats inenvisageables seul.
- L'importance du Beau dans nos vies, de s'entourer de Beau, de contribuer à embellir ce qui nous entoure (soi, son environnement, l'autre, le monde). Les enlaidisseurs des villes (tagueurs de murs, pollueurs sonores, politiques d'urbanisme...) font reculer l'harmonie et devraient être sensibilisés à cette question. En agissant, chacun d'entre nous pourrait se poser la question : mon action contribue-t-elle à embellir le monde ?
- Que l'argent ne doit pas s'opposer à la circulation de la vie et à la vie elle-même. L'avidité détruit la vie et compromet les chances de survie de notre espèce. L'argent peut être mis au service du vivant.
- Que toute agression génère une action en retour.
- Que tout individu est "récupérable" et dispose d'une conscience même s'il n'y accède parfois qu'au seuil de sa mort physique (Exemple : le méchant d'Avatar 2 relâche l'otage pour sauver son fils).
- Qu'on peut être heureux sans la technologie.
- Que la simplicité et la frugalité peuvent vaincre la technologie et la complexité.
- Que le lent peut l'emporter sur le rapide (Exemple : le cétacé sur le bateau).
- Qu'il est utile de suivre son intuition et d'oser pour faire basculer des situations (Le héros d'Avatar 1 part dompter le grand dragon pour se faire respecter et affirmer son autorité).
- Que rien ne dure jamais et que tout change en permanence (L'arc du père de l'héroïne se brise dans Avatar 2 et l'un des fils meure).
- Que les sons, les chants et la méditation permettent de modifier notre état de conscience, de changer, de soigner, de "faire corps".
- Etc.
Sur le plan de notre relation à l'autre et au groupe : Avatar nous rappelle...
- Que l'homme et la femme sont complémentaires. La femme tempère la fougue de l'homme et lui apporte un autre éclairage sur la vie et les situations (et réciproquement).
- Que l'autorité ne se décrète pas et repose sur la légitimité en lien avec un statut, une compétence ou un charisme (Le fils ainé ne parvient pas à se faire écouter de son cadet).
- Comme dans une meute, que l'autorité se justifie si elle est légitime, juste, utile au groupe et bienveillante, que devenir chef se mérite, demande du courage, de l'initiative, de l'inventivité et du charisme.
- Que sans se comparer, chacun à un rôle à jouer en fonction de ses aptitudes particulières, qu'il revient à chacun de trouver son rôle et sa place à partir de "qui il (ou elle) est".
- Qu'il est important de développer sa capacité à dialoguer, à parler et à dire ce que l'on pense sans passer par les poings ou les jugements hâtifs (le père qui rudoie son fils, les fils des chefs de tribu qui se battent).
- Que le jeu permet d'apprendre.
- Qu'il est central de retrouver la cellule familiale et de la tenir du mieux que l'on peut. Atavisme ancestral, les jeunes d'aujourd'hui y sont paradoxalement très attachés. La société de demain pourrait se refondre à partir de ce noyau (le nucleus).
- L'importance de la fidélité et de notre capacité à pardonner, de chercher à approfondir la relation de couple plutôt qu'à opter pour le butinage sexuel. L'amour est au coeur du noyau familial.
- L'importance de retrouver nos communautés d'appartenance (le peuple des forêts, le peuple de l'eau) tout en s'ouvrant malgré tout à la communauté de l'autre et malgré les résistances internes (le peuple de l'eau rejette dans un premier temps les membres du peuple de la forêt). Ces communautés peuvent être des communautés de croyance, de territoire, de religion et de culture, etc. Le film invite à aller chercher le meilleur dans la culture de l'autre, y voir des complémentarités et des enrichissements réciproques plutôt que des motifs de rejet.
- L'importance d'avoir de l'espace visuel pour se déplacer et un espace de liberté pour penser. Cette interrogation est fondamentale à une époque qui pense à densifier encore davantage les villes et à contrôler les individus par la technologie. Cette question est par ailleurs fondamentale au moment où notre espèce atteindra 10 milliards d'individus dans quelques décennies.
- Que la non violence est à privilégier dans la relation à l'autre mais que le recours à l'auto-défense peut se justifier de manière ponctuelle (Le cétacé paria de Pandora renverse la situation en changeant son comportement non violent).
- Etc.
- Que les voies du soin devraient réhabiliter les médecines ancestrales avérées et s'orienter vers une médecine plus intégrative retenant le meilleur des deux mondes : la réparation pour la médecine moderne, le traitement du terrain pour les médecines ancestrales.
- Que le rapport au temps, pathogène dans nos sociétés pressées, devrait ralentir afin de laisser un espace pour faire exister : soi, l'autre, le groupe et prendre un meilleur soin de la nature.
- Etc.
- L'importance d'accepter la mort et la cyclicité de la vie.
- L'importance de retrouver la complicité avec la nature pour se ressourcer et s'intégrer en elle, en osmose car la Nature et soi, c'est la même chose. Comme l'arbre maître, elle doit être protégée. Au-delà des apparences, la nature est le premier personnage des films Avatar 1 et 2.
- Qu'il existe dans toute forêt et dans la nature, des "arbres-maîtres" et des lieux sacrés de haute vibration énergétique (sous l'eau dans Avatar 2).
- Qu'il existe enfin des plans subtils et invisibles qui nous dépassent, avec lesquels il nous est possible de communiquer et de travailler.
- Que la grande Unité universelle existe...
Non exhaustive, cette liste donne un avant-gout des (r)évolutions de corps, de coeur et de tête qui attendent notre espèce dans les années qui viennent pour installer le "monde d'après", ce monde meilleur auquel on aspire fondamentalement et que l'on souhaite aux enfants qui vont nous succéder. Homo-Sapiens Sapiens étant une espèce oublieuse, paresseuse et parfois obtuse, sauf événement imprévisible d'ampleur (invasion extraterrestre, apparitions messianiques...), cette évolution ontologique ne se fera pas sans heurts et prendra du temps.
Pour autant et pour finir sur un tonalité pleine d'espérance, prenons conscience que vivent à la frange de notre modernité des maîtres d'Harmonie, des émissaires de Pandora discrets qui pourraient utilement conseiller notre Humanité malade et fragile. Il s'agit des peuples Racines** qu'il serait urgent de convier à la table des grands désharmoniseurs du monde (Davos, G7, G20, OMC, FMI...), de les solliciter pour restaurer la beauté d'origine et naturelle de notre planète mais également pour sécuriser la pérennité de notre propre espèce.
Plus près encore de nous, il est enfin des êtres capables de nous inspirer et qui portent en eux l'innocence simple et harmonieuse à laquelle Pandora fait référence : nos enfants. Qu'attendons-nous pour les écouter et nous en inspirer ?
Avatar est venu nous le rappeler : Pandora est déjà là !